Publié le 10/12/2025
Pour sa dernière réunion de 2025, la Fed a baissé ses taux directeurs de 0,25%, après avoir procédé à deux baisses de même ampleur en septembre et en octobre. À l’approche de 2026, plusieurs questions restent en suspens.
Combien de baisses de taux sont à prévoir et pour quelles raisons ? Le remplacement de Jerome Powell par un proche de Donald Trump en mai prochain est-il susceptible de changer la donne ?
Le 10 décembre dernier, la Fed a donc abaissé son taux directeur sur une fourchette comprise entre 3,50% et 3,75%, contre 3,75%-4% précédemment. Cette décision n’a toutefois pas fait l’unanimité. Trois des douze membres votants ont, en effet, tenu à exprimer leur désaccord. Stephen Miran (proche de Donald Trump) s’est porté en faveur d’une baisse plus importante de 50 points de base, tandis qu’Anton Golsbee (président de la Fed de Chicago) et Jeffrey Schmid (président de la Fed de Kansas City) auraient préféré que la Fed ne baisse pas ses taux. En comparaison du mois de septembre, les projections économiques trimestrielles de l’institution font état d’une inflation un peu moins haute et d’une dynamique de croissance un peu meilleure. Dans le détail, la Fed s’attend toujours à une inflation proche de 3% en 2025, avant que celle-ci ne converge progressivement vers 2% d’ici à 2027-2028. La croissance du PIB est attendue à 1,7% en 2025 (contre 1,6% en septembre), à 2,3% en 2026 (1,8%) puis aux alentours de 2% au-delà. Le taux de chômage est prévu à 4,5% en 2025, 4,4% en 2026 et 4,2% ensuite. Les dots – prévisions anonymes du niveau des taux directeurs par chacun des membres de la Fed, y compris les non-votants – sont restés tout autant dispersés que lors de l’exercice précédent. Plusieurs membres ont notamment souhaité marquer leur désaccord en indiquant un taux supérieur pour 2025, faisant d’eux des contradicteurs officieux de la décision prise le 10 décembre. S’agissant de 2026, une baisse seulement est anticipée, mais le nuage de points s’étend d’un peu plus de 2% à presque 4%. La dispersion se réduit ensuite, sans toutefois disparaître, pour aboutir à une prévision médiane de 3% à long terme. Parallèlement, la Fed a également annoncé qu’elle se porterait acheteuse de dettes d’État de faible maturité à hauteur de 40 Mds$ par mois, dans le but de maintenir le niveau des liquidités fournies au marché et de pallier les tensions récentes observées sur le marché interbancaire. Enfin, le discours de Jerome Powell a mis en évidence trois éléments. Premièrement, le niveau actuel des taux directeurs se situe désormais dans l’intervalle d’estimation du taux neutre – celui qui ne ralentit ni n’accélère l’inflation. Deuxièmement, la Fed est divisée, mais Jerome Powell conserve sa capacité à former un consensus. Troisièmement, la balance des risques penche vers une augmentation « transitoire » de l’inflation du fait des droits de douane, et une accentuation de la détérioration du marché de l’emploi. Enfin, la Fed se tient prête à baisser ses taux, mais elle reste suspendue aux données qui lui parviennent au compte-gouttes.
A-t-on eu besoin de modifier notre scénario à l’aune de ces nouveaux éléments ? En un mot comme en cent: non. Nous continuons de penser que les baisses de taux de la Fed seront peu nombreuses en 2026, au maximum une d’ici six mois et une de plus sur un horizon d’un an. La transmission de l'augmentation des droits de douane dans l'inflation a selon nous été incomplète et nous anticipons une « bosse » d'inflation moins haute, mais un peu plus étalée dans le temps. En outre, si la détérioration du marché de l’emploi est avérée, celle-ci ne semble toutefois pas s’être fondamentalement accentuée depuis l’été et la reprise des baisses de taux de la Fed (hors effet shutdown sur les effectifs gouvernementaux). La conjonction de la réduction de l'incertitude liée à une accalmie sur le front de la guerre commerciale, de l'atténuation progressive de l'impact des hausses de droits de douane sur les consommateurs, ainsi que l’effet de baisses de taux déjà effectuées par la Fed et la détente des conditions financières, pourrait favoriser une réaccélération de l’économie américaine et une amélioration des métriques de l’emploi au tournant du second trimestre 2026. Ce phénomène pourrait par ailleurs entraîner un regain de tension sur le marché du travail et ainsi ralentir la désinflation. La moindre augmentation des loyers (~30% du poids de l’indice des prix à la consommation) ou encore l’atténuation des effets de la pandémie sur l’évolution de certaines catégories spécifiques (frais d’assurance auto…), devraient néanmoins exercer des pressions baissières. Au total, la désinflation, qui devrait reprendre son cours de manière poussive en 2026, autoriserait la Fed à poursuivre l’ajustement de sa politique monétaire. L’ampleur de cet ajustement resterait toutefois conditionnée à la dynamique de l’économie. Compte tenu de ce scénario, nos différentes modélisations de la règle de Taylor* aboutissent à une conclusion similaire. Les anticipations de marché, qui n’étaient jusqu’à présent pas alignées sur notre scénario, ont grandement évolué et reflètent désormais davantage l’idée d’un moindre assouplissement monétaire au cours des prochains mois.
Nous continuons de penser que les baisses de taux de la Fed seront peu nombreuses en 2026, [...]
La fin du mandat de Jerome Powell à la tête de la Fed en mai 2026 et son remplacement probable par un proche de Donald Trump ne devrait paradoxale
ment pas changer la donne. Kevin Hasset (actuel conseiller économique en chef de la Maison Blanche) figure parmi les favoris – au coude à coude avec Kevin Warsh, ancien membre de la Fed – et semble embrasser l’objectif de Donald Trump d’abaisser les taux directeurs. Nous pensons toutefois qu’il lui sera difficile d’y parvenir. D’une part, en raison de la composition actuelle du comité de politique monétaire. Dans leur majorité, les membres indépendants de la Fed n’ont pas d’intérêt particulier à compromettre leur réputation et subir des « cicatrices réputationnelles » en prenant la décision de voter pour des baisses de taux non justifiées d’un point de vue économique. D’autre part, Donald Trump pourrait être tenté d’obtenir des baisses de taux conséquentes en vue d’une victoire éventuelle du camp des Républicains aux élections de mi-mandat. Toutefois, il nous semble désormais envisageable que la réaction des marchés face à une telle situation – par le biais d’une augmentation des taux longs, une pentification de la courbe des taux et une baisse du dollar – ait in fine pour conséquence d’amener Donald Trump à reconsidérer sa stratégie.
Sources
Ecofi, Fed de New York, BEA. L'inflation est représentée par la variation sur 12 mois du déflateur de la consommation des ménages (indice PCE ; cible d'inflation de la Fed). La tendance sous-jacente, développée par des économistes de la Fed de New York, vise à isoler le facteur commun persistant qui décrit la tendance fondamentale de l’inflation, en filtrant les bruits statistiques transitoires propres à chaque grande catégorie de l'inflation. Dernier point de données à fin septembre et dernières estimations disponibles au 12/12/2025.
Enfin, quelques mots sur l’intelligence artificielle (encore !). L’IA est un sujet financier, économique, sociétal, (géo)politique, mais elle constitue également un enjeu pour la banque centrale américaine. Cette idée d’une prise en compte du progrès technologique et de son impact sur l’économie américaine nous ramène à des faits historiques s’étant déroulés à la fin du siècle dernier, rapportés par de nombreux témoignages et dont nous nous étions déjà fait l’écho dans ces mêmes colonnes. Au milieu des années 90, Alan Greenspan, alors président de la Fed, avait choisi de ne pas augmenter les taux directeurs malgré les inquiétudes de certains membres de l’institution de voir des pressions inflationnistes se former en raison d’une reprise de l’économie américaine. Son intuition était la suivante : l’informatisation et le progrès dans les nouvelles technologies amènent et amèneront d’importants gains de productivité, permettant ainsi à l’économie américaine de pouvoir croître sur un rythme plus soutenu sans que cela conduise à une augmentation de l’inflation. Cette intuition s’est révélée la bonne et cet épisode, entre autres, valut à Alan Greenspan le surnom de « Maestro ». Le reste appartient désormais à l’histoire... Pour la Fed de 2026, l’IA revêt toutefois un caractère multidimensionnel et multidirectionnel. Les gains de productivité liés à l’intelligence artificielle sont fortement soupçonnés, mais pas totalement avérés. Ceux-ci reposent également sur l’hypothèse d’une adoption à grande échelle de la part des entreprises. Hypothèse qui n’est pas encore vérifiée, elle non plus. Aussi, l’IA est tout autant une force qu’une faiblesse pour l’économie américaine. Elle est une force au regard de son incidence positive sur la croissance du PIB – on estime par exemple que 30 à 40% de la croissance du premier semestre provient des investissements au sens large dans l’IA –, mais aussi une faiblesse si les attentes ne sont pas satisfaites. L’IA s’est également emparée du monde physique, par le biais de la construction de gigantesques centres de données et de l’implication de nombreux autres secteurs d’activité, renforçant son aspect « englobant », phénomène qui se manifeste également par l’omniprésence de la thématique sur les marchés boursiers. L’IA cohabite par ailleurs avec d’autres changements de paradigmes, plutôt de nature à rehausser l’inflation de manière structurelle, à l’instar de la mutation de l’environnement géopolitique ou de la « contestation » du commerce international tel qu’on l’entendait justement à la fin des années 90-début des années 2000. N’oublions pas non plus l’aspect énergétique… Tant de sujets qui continueront de nous animer en 2026, et probablement au-delà…
* la règle de Taylor a été développée par l’économiste John Taylor en 1993. Celle-ci a pour but de mettre en équation la « fonction de réaction » des banques centrales afin d’aboutir de manière systématique à la prescription d’un niveau de taux directeur approprié, au regard de l’évolution de l’inflation par rapport à sa cible et l’ampleur de l’écart de production (croissance observée contre croissance potentielle ; taux de chômage observé contre taux de chômage d’équilibre…). Plusieurs versions de cette règle coexistent désormais grâce aux avancées de la recherche et de la pratique de la politique monétaire.
Sources
Ecofi, au 12 décembre 2025.
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