
Publié le 09/07/2025
La pression politique exercée par Donald Trump à l’encontre de la Banque centrale américaine ne cesse de croître. Si Jerome Powell, déjà à la tête de la Fed lors du premier mandat du Président américain, est coutumier du fait, il n’en demeure pas moins que la situation est inquiétante. De l’injonction à baisser les taux directeurs au projet d’un remplacement pur et simple, en passant par une forme de mise sous-tutelle, les menaces se multiplient. Mais au fond, pourquoi la notion d’indépendance des banques centrales importe-t-elle autant ?
Ces dernières semaines, les appels à baisser les taux ou à la démission de Jerome Powell sont devenus quasi quotidiens. Cela est d’autant plus problématique qu’ils proviennent du Président américain lui-même. Ce dernier a même rédigé une lettre manuscrite afin d’indiquer à quel point il jugeait en retard le président de la Fed dans ses prises de décision. Le mandat de J. Powell prendra fin en mai prochain et D. Trump souhaite accélérer le calendrier en annonçant rapidement son successeur. Plusieurs noms circulent, à l’instar de l’actuel secrétaire au Trésor américain, qui, ces derniers temps, se fend de commentaires sur la manière dont devrait être conduite la politique monétaire. Instrumentaliser la politique monétaire à des fins électorales ou de politique politicienne est un jeu extrêmement dangereux. La Banque centrale américaine est une institution indépendante du pouvoir politique, ce qui signifie que le gouvernement n’a aucun « droit de regard » sur les actions menées. La nomination des membres du comité de la Fed est toutefois effectuée par le Président des États-Unis, mais cette décision doit être approuvée par le Sénat. La quête d’indépendance de la Banque centrale américaine s’est étalée sur plusieurs décennies et n’a pas été un long fleuve tranquille. La remise en question de cette indépendance n’est pas nouvelle et des épisodes historiques ont été plus marquants que d’autres. Les travaux académiques de Drechsel (2023) ont notamment montré que les interactions entre le gouvernement américain et la Fed n’ont jamais été aussi nombreuses que durant les années 1970. Richard Nixon, alors président des États-Unis, avait incité Arthur Burns (ancien président de la Fed) à baisser les taux directeurs pour financer une politique budgétaire expansionniste et favoriser sa réélection. Cette « mainmise » a eu pour conséquence d’amplifier les vagues d’inflation successives observées pendant cette période. C’est ensuite par l’intermédiaire de Paul Volcker et d’Alan Greenspan (autres anciens présidents de la Fed) qu’une nouvelle ère d’indépendance a pu asseoir la crédibilité de la Fed. La conclusion de ces travaux est par ailleurs sans appel : les interférences politiques amplifient l’inflation, sont inefficaces pour stimuler durablement l’activité économique et décrédibilisent la Réserve Fédérale américaine par le biais d’un dérapage des anticipations d’inflation.
Sources
Ecofi, Bloomberg, Réserve fédérale américaine. Dernières données hebdomadaires disponibles au 4/07/2025.
En 2018-19 déjà, D. Trump exhortait J. Powell à baisser les taux. Les arguments avancés étaient d’ailleurs similaires à ceux d’aujourd’hui. Les taux directeurs américains étaient jugés trop élevés par rapport à ceux pratiqués ailleurs dans le monde, notamment en Europe. La Fed a fini par baisser ses taux, non pas en raison de la pression politique, mais plutôt à cause de la mini récession manufacturière engendrée par la guerre commerciale. Les traces de cette séquence sont encore dans les esprits.
S’agissant de 2025 et pour les prochains mois, les risques sont plus grands encore. D’une part, le sujet de l’inflation n’est pas totalement derrière nous. Le taux moyen des droits de douane a considérablement augmenté et ses effets sur les prix pratiqués par les entreprises touchées devraient être de plus en plus évidents. Dans ce contexte, des baisses de taux trop conséquentes représenteraient un risque majeur. Dans une interview donnée pour la télévision américaine, D. Trump a récemment indiqué que les taux directeurs devraient être abaissés aux alentours de 1%, contre 4,25-4,50% actuellement. D’autre part, les anticipations d’inflation des ménages sont, ces derniers temps, particulièrement sensibles à la politique économique. Si le « grand public » n'accorde plus sa confiance aux actions de la Fed sur ses deux mandats (inflation et emploi), un « désancrage » des anticipations est possible. Enfin, la solidité des institutions américaines garantes de l’impartialité pourrait être affaiblie, d’autant plus dans un contexte marqué par une baisse du dollar depuis le début de l’année.
Ces éléments nous amènent également à un autre concept théorique traité dans la littérature économique. Celui de l’opposition entre la « dominance budgétaire » et la « dominance monétaire ». En substance, il s’agit de déterminer si la politique budgétaire impose sa loi à la politique monétaire ou l’inverse. Dans le cas de figure qui nous intéresse, cela signifie que D. Trump serait en mesure d’exiger des baisses de taux pour, d’une certaine manière, financer le déficit américain. La conséquence directe serait une hausse de l’inflation. En début d’année, nous avions développé l’idée d’une troisième voie, celle du « clash monétaire » où ni l’un ni l’autre ne souhaiterait s’avouer perdant. Il en résulterait une défiance généralisée de la part des investisseurs, qui exigerait une prime de risque plus élevée sur les marchés financiers.
À ce propos justement, difficile de déterminer dans quelle proportion les marchés financiers accordent du crédit à ces différents scénarios. Ce qui est sûr, c’est que l’on observe une détente des taux souverains coïncidant étrangement avec l’intensification des menaces à l’encontre de J. Powell et aux « sorties » de certains membres de la Fed – candidats non avoués ? – en faveur de baisses de taux précoces. Cette situation pourrait s’avérer dangereuse en causant un excès de prise de risque sur la base d’anticipations d’un coût du capital baissant rapidement et fortement. Mais les marchés financiers ne sont pas complètement déconnectés de la réalité économique.
Si l’on peut décemment envisager qu’un petit effet lié au remplacement ou à la démission de Powell existe, les taux d’intérêt ne se sont pas détendus tant que cela, en raison des problématiques budgétaires ou encore de l’incertitude sur la dynamique de l’inflation. Ils ont par ailleurs fortement réagi au dernier rapport de l’emploi. A près de 150 000, les créations de postes ont de nouveau dépassé les attentes du consensus. Les marchés ont immédiatement repoussé leurs perspectives de baisses de taux, qui s’étaient en partie cristallisées sur l’échéance du mois de juillet.
L’incertitude et les pressions politiques pourraient être encore plus vives en 2026, à mesure de l’approche de la fin du mandat de J. Powell.
En dépit de ces éléments, nous n’avons pas modifié nos perspectives de baisses de taux pour le second semestre. Une décortication minutieuse des chiffres de l’emploi montre que les secteurs d’activité catégorisés comme cycliques sont toujours à la peine. L’incertitude trumpienne « tétanise » les chefs d’entreprises, qui réduisent leurs intentions d’investissement et d’embauche. La hausse de l’inflation du fait de l’augmentation des droits de douane devrait être temporaire selon nous, mais la dégradation de l’emploi est une menace autrement plus sérieuse. La Fed devrait donc procéder à un ajustement de politique monétaire en 2025, non pas parce que le Président américain l’ordonne, mais parce que la situation l’exige. Certains pourraient toutefois y voir l’œuvre d’une volonté politique sous la complicité de certains membres de la Fed, et il sera bien difficile de démonter cet argument sans preuves évidentes à l’appui. L’incertitude et les pressions politiques pourraient être encore plus vives en 2026, à mesure de l’approche de la fin du mandat de J. Powell.
Pour conclure au-delà de nos perspectives de baisses de taux, il nous apparaît également que cette remise en cause de l’indépendance de la Fed a au moins trois conséquences concrètes pour les investisseurs : (i) les taux longs américains sont – paradoxalement – partis pour évoluer dans un canal étroit autour des niveaux actuels voire un peu au-dessus, du fait de la défiance exprimée à l’égard de D. Trump. Autrement dit, nous n’attendons pas de franche détente obligataire à partir des niveaux actuels ; (ii) par extension, que la capacité de la classe d’actifs à pouvoir « protéger » les portefeuilles en cas de retournement des actifs risqués pourrait être limitée et (iii) que l’élan de diversification internationale dans les allocations, ne serait-ce qu’en raison de la cherté des actions américaines, est toujours une piste à considérer.
Nul doute que le feuilleton du remplacement de Jerome Powell devrait nous tenir en haleine pour quelques temps encore…
Ecofi, le 07 juillet 2025.
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