L’économie allemande a-t-elle encore des munitions ?
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L’économie allemande a-t-elle encore des munitions ?

Écrit par Florent WABONT
Publié le 24/11/2025

Sauf surprise, la croissance du PIB en Allemagne devrait se situer entre 0% et 0,5% pour 2025, après deux années de contraction de l’activité. Le modèle allemand basé sur l’utilisation d’une énergie à bas coût et l’exportation de produits à haute valeur ajoutée, s’est successivement heurté à la guerre en Ukraine, aux déboires de l’économie chinoise et à la hausse des taux directeurs. Autrefois moteur de l’économie en zone Euro, l’Allemagne peine aujourd’hui à redémarrer. Le tournant politique pris en début d’année suffira-t-il à changer la donne ? Quelles répercussions peut-on anticiper pour l’ensemble de la zone Euro ?

L’élection du nouveau chancelier allemand Friedrich Merz en février dernier a débouché sur une série d’annonces marquantes. Un plan ambitieux de 500 Mds€ (~ 11% du PIB allemand) dédié à la modernisation des infrastructures – faisant notamment la part belle aux investissements en faveur de la transition écologique – s’étalant sur une durée de 12 ans a ainsi été dévoilé. Dans le même temps, l’Allemagne a décidé de modifier sa constitution en exemptant de son mécanisme de frein à l’endettement les dépenses militaires dépassant 1% du PIB. L’objectif visé par le gouvernement est d’augmenter progressivement la part des dépenses militaires, de ~2% du PIB en 2024 à ~3,5% d’ici 2029. Ce plan massif de réarmement et d’infrastructures s’est également accompagné, au cours des derniers mois, d’un programme d’allègement de la fiscalité des entreprises et d’une hausse de près de 14% du salaire minimum étalée sur deux ans.

Si le climat des affaires s’est redressé, les indicateurs tels que l’emploi ou la production industrielle n’ont jusqu’à présent pas suivi cet élan. Ce constat alimente le pessimisme envers l’Allemagne et les craintes (légitimes) d’un déploiement lent et partiel de ce plan. Rappelons à cet égard que le temps « politique » n’est pas le temps des marchés, ces mesures budgétaires venant tout juste d’être approuvées par le Parlement allemand et la Commission européenne. Rappelons également que l’économie allemande reste soumise aux développements économiques internationaux, à l’instar des droits de douane imposés par les Etats-Unis et du choc d’incertitude associé. Notons enfin qu’en dépit de ces éléments, des signaux faibles s’accumulent : de documents obtenus par le journal Politico montrant un plan d’achat d’armement majoritairement orienté vers des fournisseurs européens, à la volonté de certains acteurs historiques allemands de se réorienter en partie vers la défense, jusqu’au consortium d’industriels européens dans le domaine du spatial. Au-delà de l’incertitude entourant le déploiement effectif de ce plan, ces anecdotes révèlent un enjeu plus crucial encore pour l’Allemagne et la zone Euro : l’ampleur du multiplicateur budgétaire qui en découle.

Le concept de multiplicateur budgétaire désigne le montant d’accroissement du PIB généré pour chaque euro de dépense publique. Il n’existe, à notre connaissance, aucun consensus formel issu de la recherche académique s’agissant du multiplicateur budgétaire lié aux dépenses dans la défense. Une estimation conservatrice consisterait néanmoins à l’envisager autour de 1 voire un peu en dessous. Seulement, plusieurs facteurs doivent être pris en considération. Ce multiplicateur est notamment conditionné par le point de départ de l’économie du pays ou de la zone dont il est question, le degré d’ouverture au commerce extérieur de celle-ci, la manière de financer ces dépenses, les éventuels effets d’éviction et par la politique monétaire menée en conséquence. Comme lors de nos premières analyses sur le sujet en avril dernier, nous considérons toujours que le multiplicateur budgétaire du plan allemand sera supérieur à un – au moins au début. Plusieurs effets devraient ainsi se conjuguer. Premièrement, nous envisageons la possibilité d’un entraînement sectoriel lié à la montée en charge de l’industrie de la défense intra-européenne. Ce phénomène pourrait conduire à une moindre part accordée à l’importation d’armes et de composants. Ce raisonnement peut également partiellement s’étendre à la partie infrastructures du plan, qui devrait mobiliser les voisins européens de l’Allemagne. Des gains de productivité sont également à anticiper grâce aux investissements dans la R&D (IA, nouveaux procédés de fabrication, efficience énergétique…). Une forme de mimétisme des autres pays européens en faveur de mesures de ce type pourrait également voir le jour, amplifiant ainsi le pouvoir d’entraînement sectoriel. La probabilité associée reste toutefois assez faible pour le moment, en raison des freins budgétaires et politiques. Elle pourrait néanmoins être conditionnée par les négociations pour la paix en Ukraine en cours actuellement à Genève. En outre, les capacités de production allemandes sont actuellement sous-exploitées. Hors alimentation et tabac, l’utilisation des capacités de production (en % des capacités totales) du secteur manufacturier se situe à 78,2% selon l’enquête IFO du mois d’octobre, contre une moyenne d’ordinaire autour de 85%. La faible utilisation de ces capacités de production pourrait ainsi appuyer la composante domestique et favoriser les investissements lors de la montée en charge du plan allemand.

Ecofi, IFO Institute, Bloomberg. Les données sont extraites de l’enquête de conjoncture menée par l’institut IFO. * : concerne l’industrie manufacturière hors alimentation, boissons et tabac. Les séries sont représentées en fréquence trimestrielle et sont corrigées des variations saisonnières. Dernières données disponibles au 21/11/2025.

Sources

Ecofi, IFO Institute, Bloomberg. Les données sont extraites de l’enquête de conjoncture menée par l’institut IFO. * : concerne l’industrie manufacturière hors alimentation, boissons et tabac. Les séries sont représentées en fréquence trimestrielle et sont corrigées des variations saisonnières. Dernières données disponibles au 21/11/2025.

Reste également à déterminer quelle sera l’attitude adoptée par la BCE, en particulier si des pressions inflationnistes se forment dans le sillage de la reconstitution de l’écart de production*. Nous prévoyons pour le moment un statu quo monétaire prolongé tout au long du premier semestre 2026, mais un léger resserrement de la politique monétaire est possible en seconde partie d’année et, avec lui, une éventuelle hausse du coût du crédit qui pourrait pénaliser l’économie. De nouvelles tensions sur le marché du travail pourraient également se faire jour, sauf à considérer une hausse de l’immigration ou une augmentation du taux d’emploi. Une déviation modeste et temporaire de l’inflation à sa cible de 2% pourrait tout aussi bien être tolérée par la BCE dans cette phase de reprise.

Une déviation modeste et temporaire de l’inflation à sa cible de 2% pourrait tout aussi bien être tolérée par la BCE dans cette phase de reprise.
Florent Wabont, Economiste

Certes, la dynamique du plan allemand dépend en partie de facteurs politiques et « techniques » au niveau national et des Länder. Son application stricto sensu n’est pas garantie et des déceptions sont possibles – on peut par exemple citer la récente critique d’un groupe d’économistes allemands indiquant que les fonds étaient en partie alloués au financement des dépenses courantes du budget. Ces mesures ne doivent toutefois pas être considérées isolément. Il s’agit d’une impulsion bienvenue pour l’économie allemande et celle de la zone Euro qui, si le multiplicateur budgétaire est tel que nous l’envisageons, intervient à un moment décisif du cycle. Les baisses de taux effectuées par la BCE depuis 2024 n’ont probablement pas encore pleinement infusé l’économie de la zone Euro et les gains de pouvoir d’achat enregistrés grâce à la baisse de l’inflation constituent toujours des vents porteurs pour 2026. Des signaux plutôt encourageants sont également à signaler du côté des secteurs les plus cycliques (construction, manufacturier…) qui accompagneront par ailleurs le volet du plan dédié aux infrastructures.

Enfin, le plan allemand revêt également une dimension symbolique. Selon nous, il s’agit en effet d’un héritage direct du rapport Draghi**, qui n’avait, rappelons-le, pas vraiment suscité une adhésion immédiate lors de sa publication. Ce plan coche les cases « sécurité » et « décarbonation » des recommandations portées par ce rapport. Mais cela ne sera pas suffisant, comme en témoignent les récentes prises de parole de son auteur. Ni pour l’Allemagne, qui devra composer avec une forte polarisation politique lors des prochaines élections et la nécessité de mener à bien des réformes structurelles plus profondes. Ni pour la zone Euro, au sein de laquelle d’autres initiatives de ce type devront germer, moyennant l’incertitude entourant les problématiques budgétaires. Comme en fin d’année dernière, nous prévoyons de nouveau un redressement du cycle économique en zone Euro pour l’an prochain, davantage orienté vers la demande privée, et accompagné d’un élan supplémentaire en matière de regain d’autonomie stratégique...

*: un écart de production se mesure comme la différence entre la croissance observée d’une économie et son potentiel de croissance théorique (i.e. lorsque tous les facteurs de production sont utilisés).

**: Le rapport Draghi a été préparé par Mario Draghi (président de la BCE de 2011 à 2019) et remis en septembre 2024. Ce rapport liste plusieurs recommandations reparties en volets dans le but de renforcer la compétitivité de l’Europe face aux États-Unis notamment.

Sources

Ecofi, au 21 novembre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel. Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 21 novembre 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.

Florent WABONT

Économiste

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