On s’était dit rendez-vous à 2%...
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On s’était dit rendez-vous à 2%...

Écrit par Florent WABONT
Publié le 15/09/2025

Sauf surprise ou choc majeur, la BCE en a terminé avec son cycle actuel de baisses de taux, initié en juin 2024 et totalisant 8 baisses au total. C’est ainsi que peut se résumer le discours tenu par Christine Lagarde à l’issue de la réunion du conseil des gouverneurs du 11 septembre dernier. Comme nous l’avions anticipé depuis plusieurs mois, la BCE a donc probablement effectué sa dernière baisse de taux le 5 juin dernier. Mais toutes les interrogations ont-elles pour autant été levées ? Quels sont les points à surveiller pour les trimestres à venir ?  

La BCE a donc laissé ses taux inchangés le 11 septembre dernier, laissant ainsi le taux de facilité de dépôt à 2%. Sa prévision de croissance pour 2025 a été rehaussée – afin de prendre notamment en compte les chiffres, meilleurs qu’attendu, du premier semestre – à 1,2% (vs 0,9% par rapport aux projections de juin dernier), tandis que celles pour 2026 et 2027 n’ont été modifiées qu’à la marge et sont désormais respectivement situées à 1% (-0,1%) et 1,3% (inchangé). L’inflation a quant à elle été légèrement révisée à la hausse pour 2025 et 2026 et à la baisse pour 2027. Au total, la BCE s’attend à une inflation de 2,1% (+0,1%) en 2025 ; 1,7% (+0,1%) en 2026 et 1,9% (-0,1%) en 2027. Sur le même horizon, l’inflation cœur (hors énergie et alimentation) est attendue à 2,4% ; 1,9% et 1,8% (-0,1%). La conférence de presse a été pauvre en nouvelles informations. On y apprend néanmoins que les risques pesant sur l’activité économique sont désormais plus équilibrés, dans le sillage notamment de la levée partielle de l’incertitude liée aux droits de douane.

Cette réunion a confirmé nos hypothèses formulées début 2025, à savoir que la BCE n’irait probablement pas en dessous de 2% sur son taux de facilité de dépôt – scénario peu consensuel à cette période. Nous avions prévu un arrêt à 2,25%, avant de nous raviser à 2% – et sans changement ensuite – après l’annonce tonitruante des droits de douane réciproques en avril dernier (cf. « Liberation Day »). Mais l’année n’est pas terminée et tous les questionnements et les risques pesant sur le couple croissance/inflation n’ont pas encore été levés. Comme à notre habitude, nous allons tenter d’apporter un peu de nuances.

Mario Draghi en a rêvé, Christine Lagarde l’a obtenu. L’inflation oscille désormais autour de 2% depuis plusieurs mois. L’inflation totale est ressortie à 2,1% sur un an en août ; l’inflation cœur à 2,3%. Les estimations de l’inflation dite sous-jacente, qui mesure les pressions inflationnistes « dépolluées » des perturbations de court terme et donne une tendance à moyen terme, convergent également en ce sens. Dans ces conditions, et conformément à son mandat de stabilité des prix, la BCE n’a donc plus besoin d’assouplir sa politique monétaire et se situe dans une position « confortable ». Plusieurs observations méritent toutefois d’être posées.

Mario Draghi en a rêvé, Christine Lagarde l’a obtenu.
L’inflation oscille désormais autour de 2 % depuis plusieurs mois.

Premièrement, la hausse de l’euro depuis le début d’année (~+12% par rapport au dollar) laisse planer le risque d’un amoindrissement de l’inflation des biens importés et donc par extension de l’inflation totale. Toutefois, le canal de transmission du taux de change semble pour le moment restreint. Deuxièmement, les prévisions d’inflation de la BCE (mentionnées plus haut) fluctuent légèrement en dessous de 2% sur l’horizon de prévision, ce qui pousse notamment une partie du consensus à envisager des baisses de taux supplémentaires. A ce titre, il convient de rappeler que la variance des prévisions est élevée et qu’elle s’accroît à mesure que l’horizon s’éloigne. Ainsi, la prévision de 1,9% d’inflation en 2027 représente le scénario médian compris dans une bande d’incertitude s’étalant de ~1% à ~3%, selon les données présentées par la BCE. En outre, des pressions inflationnistes modérées – dont l’ampleur est, elle aussi, incertaine – pourraient par ailleurs se former, dans le sillage du plan allemand de réarmement et d’infrastructures et à mesure de la reconstitution graduelle de l’écart de production en zone Euro (i.e. la différence entre la croissance observée et la croissance potentielle). A cet égard, certains indicateurs avancés et coïncidents commencent d’ailleurs à témoigner d’un début d’inflexion potentielle du cycle. Les droits de douane nouvellement imposés par les Etats-Unis constituent néanmoins une menace réelle et sérieuse. Il est ainsi probable que les exportateurs européens soient pénalisés et que la croissance du PIB européen subisse un « trou d’air » au cours du trimestre en cours et lors du prochain également, avant d’être en partie soutenue par les retombées du plan allemand et les vents porteurs déjà en place, à l’instar des gains de pouvoir d’achat enregistrés par les ménages grâce à la baisse de l’inflation.  

Mis bout à bout et après réévaluation des dernières données disponibles, le risque d’une franche baisse sur l’inflation nous paraît toujours limité. Parallèlement, seule une situation économique qui se dégraderait fortement – sous les effets des droits de douane par exemple – pourrait justifier une baisse de taux supplémentaire de la BCE en toute fin d’année. A ce stade, nous maintenons donc notre scénario inchangé.

Mentionnons enfin un sujet récurrent ces derniers temps : la hausse des taux longs de marché, concomitante à la baisse des taux directeurs, tout particulièrement dans un contexte marqué par un regain d’instabilité politique en France. Commençons tout d’abord par rappeler que la BCE pilote les taux courts et n’a aucune emprise théorique sur la fixation des taux longs. Ainsi, l’atteinte du plus haut depuis 2011 par le taux à 10 ans français (autour de ~3,50%) reflète une problématique plus complexe. Partout dans le monde, les taux longs souverains sont plus élevés qu’avant la pandémie et n’ont pas franchement diminué depuis l’enclenchement du cycle de baisses de taux des banques centrales. Ce phénomène s’explique en partie par l’augmentation de la prime de terme. Cette dernière représente le surcroît de rendement exigé par les investisseurs en compensation du risque lié à la détention de dettes à long terme. Elle dépend notamment de l’incertitude autour de l’évolution future de l’inflation, mais aussi de l’équilibre entre l’offre et la demande de titres obligataires, des problématiques budgétaires des Etats... Si la BCE ne pilote donc pas directement le niveau des taux longs via ses taux directeurs, elle peut exercer des pressions via des mesures de politique monétaire non-conventionnelles, telles que l’achat de titres obligataires (assouplissement quantitatif ou quantitative easing). Or depuis plusieurs années, les banques centrales ont entrepris le mouvement inverse en souhaitant réduire la taille de leur bilan (quantitative tightening), ce qui a pour conséquence d’entraîner la prime de terme à la hausse.

Ecofi, Bloomberg. Dernières données hebdomadaires disponibles au 12/09/2025. L'échelle du graphique est volontairement tronquée.

Sources

Ecofi, Bloomberg. Dernières données hebdomadaires disponibles au 12/09/2025. L'échelle du graphique est volontairement tronquée.

Mais alors, puisque le niveau actuel des taux d’intérêt est susceptible de mettre en péril la soutenabilité de la dette de certains pays, tout particulièrement la France, pourquoi, comme certains commentateurs le souhaiteraient, la BCE n’agirait-elle pas ? Tout d’abord, car son objectif est d’assurer la stabilité des prix et que cet objectif, nous l’avons vu, a pour le moment été rempli. De plus, la BCE a la particularité d’opérer dans une zone économique hétérogène tant en matière de croissance, d’inflation et de dette publique. Ensuite, parce que, et bien qu’elle n’atteigne pas encore des niveaux très enthousiasmants, la demande de crédit du secteur privé en zone Euro repart depuis quelques mois. L’économie semble donc capable de « vivre avec » de tels niveaux de taux longs. En outre, la sensibilité aux taux d’intérêt d’une économie dépend de plusieurs facteurs, dont la maturité des dettes contractés par les entreprises et les ménages. En France, les prêts se nouent sur des périodes longues ; inversement pour les pays nordiques. D’autres pays européens se situent dans un entre deux. Cette sensibilité varie aussi d’un secteur à l’autre et dépend du stock de prêts souscrits au moment de la pandémie sur des échéances lointaines et à des taux très bas. Enfin et surtout, exiger de la BCE de tenter d’alléger le fardeau de la dette des Etats reviendrait à remettre en cause son indépendance, ce qui pourrait par ailleurs être perçu par les marchés comme un risque accru de voir l’inflation augmenter dans le futur.

Un cas de figure pourrait toutefois conduire la BCE à agir. Si la hausse des taux longs de marché entrave fortement et durablement la dynamique de l’activité et exerce des pressions baissières sur l’inflation. Des garde-fous existent pour les cas isolés, comme l’outil anti-fragmentation de la BCE – notons que l’éligibilité de la France est encore entourée d’un flou juridique –, mais à quel prix ? D’autres outils pourraient également être employés. Dans ce cas-là, la BCE deviendrait-elle complice du pouvoir politique malgré elle … ?

Sources

Source : Ecofi, au 15 septembre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel.
Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 12 septembre 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.

Florent WABONT

Économiste

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