Or : La folie des grandeurs ?
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Or : La folie des grandeurs ?

Écrit par Florent WABONT
Publié le 20/10/2025

Les histoires de marché se suivent, disparaissent, reviennent parfois sous d’autres formes ou bien s’assemblent et s’imbriquent. Nous n’avons jamais traité dans ces colonnes de la thématique de l’or, dont la progression ne cesse d’attirer l’attention.

Ce sera chose faite cette semaine, mais avec un angle, comme toujours, un peu particulier...

Depuis le début de l’année, le prix de l’or (en $ l’once, au 17/10) a progressé de 58,6%. Une performance bien supérieure à la plupart des autres classes d’actifs. Mais l’or est un actif à part. Les a priori sur ses propriétés ou les déterminants de son évolution sont nombreux et les vérités d’hier ne sont pas nécessairement celles d’aujourd’hui. C’est pourquoi, nous avons décidé cette semaine de nous livrer à une courte session de questions réponses auto administrée, afin de passer en revue certaines des interrogations formulées par les investisseurs actuellement.

  1. Pour quelles raisons investit-on dans l’or ?

L’or est traditionnellement considéré comme un actif refuge. Sa dimension physique en fait un actif prisé lors des périodes de tensions, qu’elles soient financières ou (géo)politiques. On lui attribue également une capacité de protection face à l’inflation. En outre, et en raison de sa faible corrélation avec les actifs risqués traditionnels – bien que celle-ci puisse varier selon les périodes – l’or permet d’abaisser le risque d’un portefeuille alloué sur plusieurs classes d’actifs, favorisant ainsi le degré de diversification de celui-ci. Enfin, l’investissement dans l’or a été facilité ces dernières années par l’émergence et la popularité croissante des ETF (Exchange-Traded Fund ; fonds négociés en bourse) et des ETC (Exchange Traded Commodity).

  1. Quels facteurs déterminent son évolution ?

Il n’existe pas réellement de valeur fondamentale pour l’or. L’or ne verse pas de coupons, de dividendes et ne génère pas de profits. Il n’est donc théoriquement pas possible d’en déterminer le prix à partir de flux futurs actualisés. Quelques variables semblent néanmoins influencer ses fluctuations. L’or étant une matière première physique, la notion de quantité extraite et découverte dans les mines est un facteur crucial, tout comme les variations de la demande liées aux applications industrielles ou au domaine de la joaillerie, mais ce ne sont pas les plus mis en avant. En effet, l’or entretient une relation étroite avec l’évolution des taux d’intérêt réels (i.e. les taux d’intérêt de marché, comme ceux auxquels empruntent les Etats, minorés de l’inflation réalisée ou de celle anticipée). Ainsi, lorsque les taux réels s’affaiblissent, l’or a plutôt tendance à monter. A contrario, lorsque les taux réels augmentent, il existe un coût d’opportunité à détenir de l’or, puisque les placements obligataires offrent des rendements supérieurs à ceux de l’inflation. L’intensité de cette relation n’est toutefois pas immuable et les considérations (géo)politiques ou psychologiques peuvent parfois l’emporter.

Ecofi, Bloomberg. Dernières données hebdomadaires disponibles au 17/10/2025.

Sources

Ecofi, Bloomberg. Dernières données hebdomadaires disponibles au 17/10/2025.

  1. Quelles justifications apportées au comportement récent de l’or ?

Les fortes hausses observées depuis plusieurs années, et a fortiori ces derniers mois, défient les considérations évoquées jusqu’à présent. La relation entre l’or et les taux réels s’est rompue. Les taux longs américains ont considérablement augmenté depuis 2020 et l’inflation a fini par redescendre, rendant ainsi positive la différence entre les deux. En considérant les données publiées par la Réserve fédérale américaine, les taux réels américains anticipés à 10 ans se situent actuellement autour des 1,6%, soit un niveau proche de la situation qui prévalait avant la crise de 2008. Pourtant, l’or progresse de mois en mois. Dès lors, comment expliquer ce phénomène ?

Plusieurs histoires de marché s’entremêlent, tant et si bien que le comportement actuel de l'or semble cristalliser l’ensemble des craintes des investisseurs et des acteurs internationaux. Premièrement, celles d’ordre géopolitique, au travers de la guerre en Europe, des conflits au Moyen-Orient et dans d’autres parties du monde. Deuxièmement, celles relatives aux considérations budgétaires, qui justifient une prime de terme (i.e. le surcroît de rendement exigé par les investisseurs en compensation des risques inhérents au fait de prêter aux États à long terme) plus élevée et qui s’illustre également par une diminution du caractère de valeur refuge pour certains segments obligataires. Troisièmement, celles de l’éventuelle perte d’indépendance de la banque centrale américaine, en raison des menaces récurrentes exprimées par Donald Trump et son administration, qui pourrait par ailleurs conduire à une inflation plus élevée pour plus longtemps. Quatrièmement, celles que le dollar puisse perdre un peu de son hégémonie. En l’absence de substitut évident, l’or devient une alternative face à cette instabilité. Enfin, on peut aussi y voir l’expression d’une peur quant à l’éventualité de l’éclatement d’une bulle des valeurs et des secteurs fortement impliqués dans la thématique de l’intelligence artificielle, en raison, là encore, de la diminution du pouvoir protecteur de certains segments obligataires. L’observation vaut également s’agissant du récent stress subi par les banques américaines régionales en fin de semaine dernière, dans le sillage de plusieurs événements de crédit (faillite des entreprises First Brands et Tricolor), mettant en exergue la vulnérabilité du segment de la dette privée aux États-Unis et interrogeant sur la qualité du bilan et la bonne gestion de ces établissements.

Mais un autre facteur puissant, s’inscrivant dans la lignée de ces craintes, est à l’œuvre. Les banques centrales internationales, notamment celles des pays émergents, ont entrepris de diversifier leurs réserves en achetant massivement de l’or. Selon les données du World Gold Council, près de 25% de ces réserves sont allouées du métal jaune, contre ~15% peu avant la pandémie. Ce phénomène traduit la crainte de voir ses actifs en devises geler, à l’instar de la Russie, mais aussi le découplage croissant entre le Sud Global et les pays développés ainsi que l’idée qu’une « dédollarisation » puisse survenir. 

A celui-ci, il convient également d’ajouter l’aspect psychologique ou plutôt ce qu’on pourrait qualifier d’ « effet momentum ». Autrement dit, de manière plus triviale : le prix de l’or progresse aujourd’hui car il a progressé hier. Cette idée que l’on puisse « louper le train » de la hausse est accentuée par la démocratisation et la popularité croissance des instruments passifs sur la classe d’actifs. Ces observations nous amènent ainsi à la dernière question, et pas des moindres.

  1. Une bulle s’est-elle formée sur le marché de l’or ? Et quels sont les scénarios d’évolution possibles ?

Il n’existe pas de définition théorique universelle de ce qu’est une bulle. Dans la pratique, une bulle peut être envisagée comme une importante démarcation d'un actif par rapport à sa valeur fondamentale. Or, nous l’avons évoqué, l’or n’a pas, à proprement parler, de valeur fondamentale déductible. D’autre part, tirer une espérance de rendement à partir de son simple comportement passé est risqué. Nombreuses sont les périodes où l’or est resté relativement stable, comme durant la décennie précédant la pandémie. D’autres encore où sa progression a été conséquente (cf. les années 70). Bien que l’or soit détenu pour la diversification qu’il procure, les attentes en matière d’évolution des cours sont aujourd’hui élevées. Nous ne nous risquerons pas à formuler un objectif de cours et nous n’avons toujours pas la prétention de pouvoir prédire l’avenir avec certitude. Néanmoins, au-delà de l’achat des banques centrales et de l’effet momentum qui demeurent des facteurs de soutien indéniables, il nous a semblé opportun de nous interroger sur les obstacles potentiels à la poursuite de l’ascension fulgurante de l’or.

[...] la progression de l’or pourrait s’enrayer en cas de ralentissement des achats des banques centrales ou bien encore d’une fatigue des investisseurs face à la hausse continue des cours.

L’atténuation des propos sur le front de la guerre commerciale pourrait contribuer à abaisser la pression sur le dollar. Bien qu’il ait été adouci à la suite des accords passés pour la plupart des pays du monde, le ton est de nouveau monté avec la Chine ces derniers jours. Les problématiques budgétaires sont par ailleurs toujours d’actualité, comme en témoigne le shutdown en cours. La capacité des obligations souveraines américaines à pouvoir protéger les portefeuilles d’une baisse des marchés d’actions ou d’un événement adverse tient au niveau de corrélation entre ces deux classes d’actifs. Autrefois nulle, voire négative, cette corrélation est désormais positive selon la fréquence retenue, en tout cas moins favorable. L’or est ainsi un concurrent direct des obligations souveraines américaines pour prétendre à la diversification des risques. Un apaisement des menaces à l’encontre de la Fed serait également de nature à limiter le mouvement, tout comme plus de visibilité sur la dynamique de l’inflation américaine. Plus simplement encore, la progression de l’or pourrait s’enrayer en cas de ralentissement des achats des banques centrales ou bien encore d’une fatigue des investisseurs face à la hausse continue des cours. Une moindre concentration des indices boursiers américains sur la thématique de l’IA pourrait aussi amener à reconsidérer le risque de bulle et par la même occasion réorienter certains flux car, faut-il le rappeler, tout ce qui est investi dans l’or ne l’est pas ailleurs sur les marchés cotés ou dans l’économie réelle. En toute hypothèse, l’ascension de l’or pourrait techniquement se poursuivre, mais on le comprend, le sol sur lequel repose cette poussée est hautement mouvant. Une balance bien difficile à calibrer…

Sources

Ecofi, au 20 octobre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel. Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 17 octobre 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.

Florent WABONT

Économiste

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