Une banque centrale sous influence ?
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Une banque centrale sous influence ?

Écrit par Florent WABONT
Publié le 22/09/2025

Sans surprise, la Fed a abaissé son taux directeur d’un quart de point le 17 septembre dernier. Mais ce sont surtout les « détails » accompagnant cette décision qui ont le plus attiré l’attention. La teneur du discours de Jerome Powell, le comportement de Stephen Miran pour sa toute première réunion en tant que membre votant, mais aussi l’actualisation des prévisions économiques. À l’aune de ces nouveaux éléments et de ceux déjà connus, qu’en déduire pour la suite ?

Le 17 septembre dernier, la Fed a donc abaissé son taux directeur sur une fourchette comprise entre 4% et 4,25%, contre 4,25%-4,50% précédemment. Cette décision n’a toutefois pas fait l’unanimité. S. Miran (proche conseiller de Donald Trump) récemment nommé en remplacement d’Adriana Kruger, a ainsi souhaité voir la Fed baisser ses taux, non pas de 25 points de base, mais de 50. Notons également que lors de la précédente réunion de politique monétaire, à laquelle ne participait pas encore S. Miran, deux membres avaient exprimé leur désaccord, en souhaitant une baisse de taux plus précoce. Ces derniers n’ont donc, cette fois-ci, pas voté contre. Les projections économiques trimestrielles de l’institution n’ont que très peu été modifiées par rapport au mois de juin. La Fed s’attend à une inflation proche de 3% en 2025, convergeant progressivement vers 2% à horizon 2027-2028, mais aussi à un peu plus de croissance sur la totalité de l’horizon de prévision comparable, sans toutefois que celle-ci ne dépasse 1,9%, soit juste en dessous du seuil de croissance potentielle, estimée à ~2%. L’augmentation prévue du taux de chômage est, quant à elle, plus modeste qu’auparavant. Les dots – prévisions anonymes du niveau des taux directeurs par chacun des membres de la Fed – suggèrent désormais deux baisses de taux supplémentaires en 2025, contre seulement deux au total lors de l’exercice réalisé en juin. Au-delà de cet horizon, les dots sont tellement dispersés qu’ils en deviennent des signaux bruités. Un point se détache néanmoins, en se situant systématiquement plus bas que tous les autres ; sans doute l’œuvre de S. Miran. En sus de cette forte dispersion, l’incertitude attachée aux prévisions économiques fournies par les différents membres est toujours indiquée comme étant bien plus élevée que les normes habituelles. Si l’inflation reste élevée et que le taux de chômage augmente moins rapidement, à quoi bon baisser les taux ? Dans son analyse et dans les éléments de langage employés, la Fed anticipe que la hausse de l’inflation liée aux droits de douane ne sera que temporaire, alors que les menaces pesant sur le marché de l’emploi l’emportent dans la balance des risques. Il est donc opportun, comme l’avait annoncé J. Powell à Jackson Hole, de réduire le degré de restriction de la politique monétaire.

Comme nous l’avions anticipé depuis plusieurs mois maintenant, la Fed a donc décidé de privilégier la partie de son mandat liée à l’emploi, au détriment des craintes concernant l’inflation. Dès lors, qu’anticiper pour les mois et trimestres à venir, en particulier dans un contexte marqué par l’échéance prochaine du mandat de Jerome Powell ?

La révision annuelle des chiffres effectuée par le bureau du travail (BLS) a en outre mis en évidence une surestimation de 911 000 emplois de mars 2024 à mars 2025.

S’agissant tout d’abord du marché de l’emploi, la détérioration observée est réelle et sérieuse. Les créations d’emploi ont sensiblement ralenti (seulement 29 000 en moyenne sur les trois derniers mois, contre 232 000 en janvier 2025) voire ont été quasiment inexistantes dans les secteurs privés dits cycliques ces derniers mois. La révision annuelle des chiffres effectuée par le Bureau du travail (BLS) a en outre mis en évidence une surestimation de 911 000 emplois de mars 2024 à mars 2025. Il y a actuellement peu d’embauches, de démissions et de licenciements. Le temps passé au chômage augmente par ailleurs progressivement. Le marché du travail semble ainsi figé et en proie à la rupture. Seulement, comme à l’accoutumée, il convient de nuancer certains points. Bien qu’il soit difficile de quantifier cet argument, une partie de cette faiblesse provient probablement du choc d’incertitude majeur provoqué par la politique économique erratique de D. Trump. Les entreprises ont réduit leurs intentions d’investissements et temporisé les embauches. Les ménages se sont montrés plus précautionneux. L’incertitude liée aux droits de douane étant désormais partiellement levée, il nous semble envisageable d’anticiper une stabilisation, voire un léger redressement de la situation. Une autre partie de l’explication du puzzle de l’emploi est également à chercher du côté d’un ralentissement passé (la dégradation des métriques de l’emploi a démarré avant l’arrivée de D. Trump), probablement en lien avec la politique monétaire modérément restrictive de la Fed. Ce paramètre devrait lui aussi s’atténuer, mais quid de l’installation éventuelle de ce ralentissement plus ancien ? Il convient également de mentionner l’aspect migratoire. Les reconduites récentes de nombreux étrangers à la frontière font pression sur le nombre de travailleurs disponibles et perturbent la lecture des données de l’emploi.

L’évolution de l’inflation interroge également. Nous ne reviendrons pas sur la transmission de l’augmentation des droits de douane dans l’inflation (le lecteur pourra se référer à ce document, étonnamment toujours d’actualité). En revanche, les derniers chiffres publiés ont mis en exergue une accentuation de cette transmission. De plus en plus de produits concernés par les droits de douane voient leurs prix s’ajuster, et ça n’est probablement pas fini. Nous nous attendons toujours à une hausse graduelle de l’inflation. Ce phénomène de « bosse » devait toutefois être passager et n’entraînerait pas de dérapage, car : (i) l’augmentation des droits de douane implique une hausse des prix unique ou quasi-unique, (ii) le ralentissement de la demande devrait in fine exercer une pression à la baisse sur l’inflation et (iii) cette hausse de l’inflation ne devrait pas déboucher sur d’importantes hausses salariales, dans un contexte de fragilité du marché de l’emploi et de relative stabilité des anticipations d’inflation. Mais c’est sur ce dernier point que l’incertitude est la plus grande, principalement en raison d’un problème de mesure. En effet, les anticipations d’inflation des agents économiques sont issues d’enquêtes menées notamment auprès des ménages. La série temporelle la plus profonde provient de l’Université du Michigan. D’après cette enquête et les chiffres provisoires de septembre, les ménages américains s’attendent à une inflation de 4,8% dans un an et de 3,9% sur un horizon de 5 à 10 ans. Seulement, ces anticipations ont fortement varié sur la période récente, puisqu’elles étaient encore situées autour de 7% en mai dernier, ce qui remet en question leur pertinence. En outre, ces statistiques sont polluées par les affiliations partisanes des sondés ; les démocrates se montrant bien plus pessimistes que les républicains. Ainsi, la dispersion des réponses données a rarement été aussi élevée. En complétant cette enquête avec d’autres, ainsi qu’avec un examen minutieux des anticipations d’inflation des marchés financiers, un tableau plus nuancé se dessine. Les anticipations d’inflation des agents économiques ont légèrement augmenté du fait de l’impact anticipé des droits de douane, mais elles n’ont pas franchement dérapé. Le risque semble contenu à ce stade, mais il n’est pas à occulter. L’incertitude demeure, ce qui devrait, selon nous, amener certains membres de la Fed à se montrer prudents au-delà de l’ajustement de politique monétaire en cours.

Ecofi, résultats de l'enquête auprès des consommateurs américains menée par l'Université du Michigan.  Certaines données manquantes antérieures à 1990 ont été reconstituées. L'écart interquartile mesure la différence entre la médiane des réponses du 75ème percentile et celle du 25ème percentile. Il s'agit d'un indicateur permettant de mesurer la dispersion des réponses données par les ménages interrogés. Le trait en pointillé correspond au dernier point recensé pour l'horizon 5 à 10 ans. Dernières données disponibles à date sur le site internet de l'enquête.

Sources

Ecofi, résultats de l'enquête auprès des consommateurs américains menée par l'Université du Michigan. Certaines données manquantes antérieures à 1990 ont été reconstituées. L'écart interquartile mesure la différence entre la médiane des réponses du 75ème percentile et celle du 25ème percentile. Il s'agit d'un indicateur permettant de mesurer la dispersion des réponses données par les ménages interrogés. Le trait en pointillé correspond au dernier point recensé pour l'horizon 5 à 10 ans. Dernières données disponibles à date sur le site internet de l'enquête.

Enfin concernant les pressions politiques exercées* par Donald Trump et son administration, le tout n’est pas de savoir si la Fed est un sujet politique, elle l’est – l’histoire nous l’a prouvé, des interférences de Richard Nixon aux craintes de Bill Clinton de voir Alan Greenspan monter les taux, en passant par les accusations de George Bush père qui lia sa défaite à la politique menée par A. Greenspan –, mais plutôt de savoir si celle-ci est politisée. La nomination de S. Miran milite pour envisager une tentative de politisation. Ce dernier semble être en mission et souhaite voir les taux directeurs baisser fortement, un souhait qu’il a rappelé et réitéré en fin de semaine dernière lors d’une prise de parole médiatique. Son mandat de remplaçant à la suite de la démission d’A. Kruger, prendra fin en janvier 2026, de quoi perturber encore un peu les réunions à venir. Nous pensons toutefois que l’histoire ne s’arrêtera pas là. S. Miran nous paraît être le candidat le plus sérieux au poste de remplaçant de Jerome Powell en mai prochain. Il y a, bien sûr, d’autres candidats potentiels, dont Scott Bessent l’actuel secrétaire au Trésor ou encore Christopher Waller, membre votant de la Fed nommé par D. Trump en 2020. Mais force est de constater que S. Miran coche de nombreuses cases. Dès lors, doit-on envisager qu’il entraînera les autres membres dans sa volonté de baisser fortement les taux directeurs ? Cela nous paraît toujours difficilement envisageable. Premièrement et comme évoqué au sein d’écrits précédents, pour une raison simple : la crédibilité. Sauf à considérer que D. Trump réussisse à placer de nombreux « pions » au sein de la Fed, la plupart des membres tiendront à leur réputation, qui plus est à l’approche des élections de mi-mandat. Deuxièmement, les tentatives visant à licencier Lisa Cook, sur fond d’accusations de fraudes immobilières, ont pour le moment échoué. Enfin, le délai nécessaire pour remplacer le nombre suffisant de membres votants est long, ce qui limite la possibilité de baisser les taux rapidement. Il nous semble donc plus probable que l’indépendance de la Fed continue d’être menacée et que des dissensions puissent naître lors des débats et des votes, ce qui devrait par ailleurs avoir pour effet de nuire à la lisibilité de la politique monétaire et d’entraîner de la volatilité sur les marchés de taux notamment.

Au total et par le biais de cette analyse en trois parties, nous tablons encore sur une (éventuellement deux) baisse(s) de taux d’ici la fin de l’année 2025. S’agissant de 2026, l’horizon est plus flou, mais un taux d’atterrissage situé aux alentours de 3,50%-3,75% nous paraît plus vraisemblable que les anticipations du marché qui tablent autour, voire légèrement en dessous, de 3%. L’année 2026 s’annonce, d’ores et déjà, sportive…

* : Pour l’aspect théorique du bien-fondé de l’indépendance de la Fed, le lecteur pourra se référer à nos écrits précédents, notamment celui-ci.

Sources

Source : Ecofi, au 19 septembre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel. Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 19 septembre 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.

Florent WABONT

Économiste

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