
Publié le 29/08/2025
Cet été, l’actualité économique, financière et politique a été chargée. Pour bien démarrer la rentrée, il nous a ainsi paru utile de passer en revue certains des sujets façonnant notre scénario, qui donneront (nous l’espérons) matière à réflexion pour nos lecteurs. De la dégradation des chiffres de l’emploi aux États-Unis à la relative « résistance » de l’économie européenne, en passant par l’intensification des pressions politiques à l’égard des institutions américaines, et d’autres choses encore… nous livrons cette semaine une synthèse de nos pensées estivales.
Imagine-t-on le président d’un grand pays développé licencier la personne chargée de diriger la collecte et la publication d’une partie de la statistique publique, dont l’inflation et l’emploi ? C’est pourtant ce qui s’est passé début août aux États-Unis lorsque Donald Trump a annoncé, par l’intermédiaire de son réseau social Truth Social, le limogeage d’Erika McEntarfer, directrice du BLS (Bureau of Labor Statistics). La raison invoquée : des chiffres de l’emploi publiés quelques jours auparavant, montrant un ralentissement significatif des embauches et de fortes révisions à la baisse pour les mois précédents, jugés falsifiés et destinés à nuire au président américain. S’il est vrai que les statistiques publiques sont de moins en moins fiables (problématique régulièrement commentée dans ces colonnes), en raison d’un faible taux de réponse et de difficultés à faire remonter les données, manque de fiabilité ne rime pas avec trucage. Le BLS souffre surtout d’un manque de budget et de personnel. Ajoutons à cela le fait que, depuis la pandémie, les ménages et les entreprises répondent de moins en moins aux enquêtes et que cela concerne aussi bien le BLS que d’autres sondeurs d’opinion. D. Trump a depuis décidé de nommer Erwin John Antoni de l’Heritage Foundation (think tank pro-Trump) à la tête du BLS. Proche du président, ce dernier a immédiatement indiqué qu’il pourrait cesser la publication des statistiques mensuelles de l’emploi, en raison de leur falsification supposée. Il convient également de noter que des événements relativement similaires – plus graves encore – ont déjà eu lieu par le passé. Historiens et journalistes, enregistrements à l’appui, rapportent ainsi que durant l’été 1971, le président des États-Unis Richard Nixon avait en effet jugé que les employés juifs du BLS étaient malhonnêtes et prompts à lui nuire en falsifiant les chiffres de l’emploi (affaire « Nixon Jew count »). Il avait alors entrepris une campagne de destitution des employés aux noms à consonance juive. Ce même président dont les interférences politiques avec la Fed ont été maximales…
Dès lors, quelles sont les conséquences pour les investisseurs ? Premièrement, cela crée un précédent. Deuxièmement, cela pourrait nuire à la bonne lecture de l’économie américaine, s’il s’avère que les chiffres sont modifiés à dessein, deviennent plus opaques ou si leur parution est interrompue. Troisièmement, parce que cela vient s’agglomérer avec les menaces sur d’autres institutions, en particulier la Fed, ainsi que sur l’imposition d’idées et directives à certaines entreprises américaines privées. Cela pourrait également nuire au bon fonctionnement des marchés financiers, notamment en créant des asymétries d’information et en perturbant les anticipations en matière de politique monétaire et budgétaire, ce qui nous amène directement au sujet de la Réserve fédérale américaine.
Les pressions politiques exercées sur la Fed sont encore montées d’un cran depuis notre dernière analyse sur le sujet (disponible ici). En substance, nous avions notamment indiqué que les épisodes d’interférences passées entre le pouvoir politique et la Fed (cf. R. Nixon et Arthur Burns) avaient eu sur des effets délétères en matière d’inflation et de croissance. En outre, qu’il fallait également s’attendre à un « clash monétaire ». Depuis, D. Trump a intensifié ses menaces, accompagné par d’autres membres de son administration. L’étau se resserre sur Jerome Powell (président de la Fed), dont le mandat arrive à son terme en mai prochain. Au cours de l’été, la démission surprise d’une des membres du comité de politique monétaire (Adriana Kugler) a débouché sur la nomination – qui reste suspendue à la validation du Sénat – de Stephen Miran, l’ancien conseiller économique de D. Trump et architecte de la stratégie autour des droits de douane. Des accusations de fraude immobilière pèsent également sur Lisa Cook (membre votante au sein de la Fed) et le président américain cherche désormais à la renvoyer. Qu’elle soit jugée coupable ou non (c’est à la justice américaine de se prononcer), cela participe à la stratégie de D. Trump, consistant à vouloir prendre la main sur la Fed. Enfin concernant le remplaçant de J. Powell, plusieurs noms circulent, dont notamment Christopher Waller (actuel membre votant de la Fed, nommé par D. Trump en 2020), qui ces derniers temps, s’est montré favorable à la reprise de l’assouplissement monétaire.
En termes de prévisions, nous pensons toujours que la Fed devrait abaisser son taux directeur le 17 septembre prochain. Comme nous l’avions anticipé depuis plusieurs mois maintenant, le marché du travail a fini par montrer des signes plus patents de détérioration. Les créations mensuelles d’emplois sont ainsi passées d’un rythme de 232 000 en moyenne sur trois mois en janvier à 35 000 en juillet, bien en dessous des normes historiques. En outre, les nouvelles embauches se concentrent toujours sur un nombre limité de secteurs, à l’instar de la santé ou encore de l’aide à la personne. Les emplois privés plus « traditionnels » sont, quant à eux, moins nombreux. Ce constat a été renforcé par le discours accommodant de J. Powell lors du Symposium de Jackson Hole le 22 août dernier, indiquant que les risques pesant sur le marché de l’emploi avaient augmenté. Il n’en aura pas fallu beaucoup plus pour que les marchés financiers se mettent à anticiper un enchaînement de baisses de taux au cours des prochains trimestres. Mais est-ce pour autant totalement justifié ? Nous pensons que non.
Une partie de la détérioration observée des chiffres de l’emploi est probablement liée au climat d’incertitude engendré par la politique économique et commerciale de D. Trump. Maintenant qu’une partie de cette incertitude a été levée (aboutissement des négociations sur les droits de douane…), les entreprises pourraient être amenées à concrétiser une partie de leurs intentions d’embauche laissées en suspens. Cette dégradation est néanmoins réelle et le marché de l’emploi américain demeure fragile sous plusieurs aspects. C’est pourquoi un ajustement de la politique monétaire est selon nous nécessaire, afin d’éviter que la situation n’empire davantage. Parallèlement, l’inflation américaine a augmenté durant l’été. L’indice des prix à la consommation hors énergie et alimentation (indice Core CPI) a ainsi progressé de 3,1% sur un an en juillet, après 2,9% en juin et 2,8% en mai ; le déflateur de la consommation des ménages (indice PCE ; cible d’inflation de la Fed) dépeint une situation similaire. Bien que non linéaire, la transmission de l’augmentation des droits de douane dans les prix des produits concernés s’accentue. Les entreprises ont jusqu’à présent fait preuve d’ingéniosité pour ne pas avoir à augmenter leurs prix de vente, en négociant avec leurs fournisseurs, en constituant des stocks de précaution ou encore en rognant sur leurs marges. Il faut toutefois s’attendre à une poursuite de la hausse de l’inflation au cours des prochains mois, à mesure de l’atténuation de ces « boucliers tarifaires » pour les consommateurs. À moins que la plupart de ces nouveaux droits de douane ne soient jugés illégaux, comme l’a indiqué une cour d’appel fédérale américaine en fin de semaine dernière... Dans l’intervalle, ces derniers demeurent en place et D. Trump tentera par tous les moyens légaux de les instaurer définitivement. Il est par ailleurs important d’indiquer que nous envisageons ce regain d’inflation comme n’étant que transitoire, en raison de trois principaux éléments : (i) l’augmentation des droits de douane implique une modification des prix unique ou quasi unique, (ii) cette hausse de l’inflation ne devrait pas déboucher sur d’importantes négociations salariales, dans un contexte de détente et de fragilité du marché de l’emploi, (iii) le ralentissement de la demande résultant de l’incertitude et la perte en pouvoir d’achat pour les ménages devrait exercer une pression à la baisse sur d’autres composantes de l’inflation. Cependant, l’incertitude est grande sur ce front et nous pensons que la Fed ne devrait pas effectuer plus de deux baisses de taux en 2025.
Sources
Ecofi, BEA. L'indice des prix des biens durables est issu du déflateur des dépenses de consommation des ménages corrigé des variations saisonnières. Dernières données disponibles en date du 29/08/2025.
En 2026 et au-delà, l’horizon est encore plus flou, car ce que reflètent également ces anticipations de baisses de taux est probablement lié à la question de l’indépendance de la Fed. Certains commentateurs voient déjà d’ailleurs le discours de J. Powell à Jackson Hole comme l’expression des pressions politiques de D. Trump. De notre côté, nous le pensons guidé par les données économiques. Toutefois, le simple fait que le doute soit permis est un problème en soi, car la crédibilité est une notion clé pour les banques centrales. Les marchés semblent par ailleurs accorder du crédit à l’idée que D. Trump réussira à imposer son souhait de baisser fortement les taux directeurs. Nous n’y croyons pas pour le moment. La Fed est une institution dont la solidité s’est renforcée au fil des décennies et il nous semble difficile de voir quelqu’un à sa tête succomber aussi facilement aux pressions politiques. Ne serait-ce que d’un point de vue de crédibilité personnelle, notamment à l’ère des réseaux sociaux et de l’information en continue. Citons à cet égard, l’expérience et les « cicatrices réputationnelles » d’A. Burns (président de la Fed de 1970 à 1978), après les interférences répétées de R. Nixon. Les marchés, quant à eux, n’hésiteront probablement pas à sanctionner les égarements et la volonté de vouloir financer le déficit américain, par le biais d’une augmentation des taux longs. L’opinion publique pourrait aussi se montrer contrariée et les anticipations d’inflation pourraient déraper. Les autres membres (votants ou non) pourraient également ne pas vouloir entacher leur curriculum, en se montrant trop proches de l’administration Trump, tout particulièrement dans un contexte d’élections de mi-mandat, à l’issue incertaine. Ainsi le scénario le plus probable est celui d’un ajustement de politique monétaire qui pourrait s’étaler sur les 6 à 9 prochains mois. Il n’est en revanche pas impossible que les dissensions se multiplient, à l’approche de la fin du mandat de J. Powell et au-delà. Le « clash monétaire » que nous décrivions jusqu’ici comme un affrontement plus appuyé entre le gouvernement et la Fed pourrait s’immiscer au sein même de l’institution, notamment du fait de l’arrivée de S. Miran – qui devra néanmoins quitter son poste de remplaçant en janvier 2026. A ce stade, il est donc probable d’envisager que la communication de la Fed devienne moins lisible et davantage soumise au doute lors de ses prochaines baisses de taux. A moyen terme, les conséquences pour les investisseurs sont (au moins) triples : (i) une augmentation de la volatilité des taux courts, accompagnée d’un accroissement des taux longs, expression de l’exigence de la part des investisseurs d’un surcroît de rémunération pour faire face à l’incertitude, (ii) une possible seconde jambe de baisse du dollar et (iii) une poursuite de l’élan de diversification des investisseurs actions internationaux, qui pourrait notamment bénéficier à l’Europe.
Les marchés semblent par ailleurs accorder du crédit à l’idée que D. Trump réussira à imposer son souhait de baisser fortement les taux directeurs.
En zone Euro, force est de constater que l’activité résiste, et ce, malgré le climat délétère lié aux droits de douane américains. Le moral des agents économiques, en particulier celui des directeurs d’achats, a même légèrement rebondi sur la période récente. Ces chiffres cachent néanmoins de fortes disparités en fonction des enquêtes, des secteurs et entre pays. La situation demeure fragilisée par la politique commerciale américaine et les exportations sont en passe de ralentir. Nous ne reviendrons pas sur l’accord conclu et l’aboutissement du taux des 15% pour les produits européens en direction des États-Unis. Notons néanmoins qu’ils se situent en-deçà des 30% envisagés auparavant et que certains secteurs ou sous-secteurs stratégiques ont pu bénéficier d’exemptions. Prenons désormais cette hypothèse de travail pour acquise, à moins que les choses ne changent encore d’ici là… Cela mis bout à bout, la croissance de la zone Euro devrait être pénalisée cette année et encore un peu en début d’année prochaine, avant un redressement progressif grâce à l’inflexion du cycle qui semble se mettre en place et au plan allemand de défense et d’infrastructures. Il est cependant impossible de passer à côté des récents développements en matière de politique française. Plusieurs scénarios sont possibles à l’issue du vote de confiance le 8 septembre prochain : d’un nouveau premier ministre à une nouvelle dissolution. Il n’en demeure pas moins que la réaction des marchés de taux a été relativement contenue et qu’ils semblent s’être accoutumés, après la chute du gouvernement Barnier notamment. L’écart de taux entre la France et l’Allemagne a ainsi légèrement augmenté et son niveau actuel continue de refléter le supplément de rendement exigé par les investisseurs dans un contexte budgétaire dégradé. Le niveau du taux à 10 ans français se situe désormais aux alentours de 3,5%, contre ~3,2% en début d’année et ~3% l’été dernier. Rappelons toutefois, que la dette française suscite toujours l’intérêt des investisseurs internationaux, qui continuent de sursouscrire aux émissions nouvelles. L’inflation en France est toutefois plus basse que chez nos voisins et la demande privée (consommation et investissement) subit de plein fouet les effets de l’instabilité politique. On comprend donc aisément que l’équation budgétaire et économique demeure relativement difficile à résoudre et que le scénario d’un entre-deux désagréable semble se profiler pour quelques temps encore.
Concernant la BCE, notre scénario demeure inchangé. L’inflation oscille toujours autour de la cible de 2% et les mesures de tendances d’inflation pointent également vers une stabilisation. Nous continuons donc d’anticiper – comme depuis plusieurs mois – des taux directeurs inchangés jusqu’à la fin de l’année, soit à 2% pour le taux de facilité de dépôt. Bien que cela ne constitue pas notre scénario central, une baisse de taux supplémentaire n’est pas à exclure totalement, dans le cas où des signes plus marqués de dégradation conjoncturelle ou d’incidences négatives objectives de l’appréciation de l’euro (~13% face au dollar en 2025).
Du côté des marchés d’actions, les performances ont été positives cet été, grâce notamment à une saison des résultats d’entreprises porteuse outre-Atlantique, tout particulièrement s’agissant du secteur de la technologie. Il convient toutefois de noter que la surperformance (dividendes réinvestis) des actions de la zone Euro vis-à-vis des actions américaines n’a pas disparu pour un investisseur en euro (-2,0% pour le S&P 500 vs 14,4% pour le MSCI EMU au 29/08/2025). Les rapports rédigés par différents analystes et les commentaires accompagnant les résultats de certains groupes laissent transparaître l’idée que l’augmentation des droits de douane a été relativement bien digérée pour le moment, rejoignant ainsi notre analyse sur l’inflation. L’incertitude sur leurs effets finaux, à mesure de leur translation dans l’économie, reste toutefois très élevée, tant sur les prix de vente que sur les volumes.
Sources
Robert Shiller, Ecofi. L'indice de cherté des actions américaines est représenté par le ratio cours/bénéfices développé par le Professeur Robert Shiller, qui rapporte le niveau du S&P 500 à la moyenne des bénéfices réalisés ces dix dernières années, ajusté de l'inflation. La courbe se lit comme un multiple de valorisation, soit le nombre de fois les bénéfices auquel se traite le marché des actions. Sur la base des dernières données disponibles en date du 29/08/2025.
Dans ce contexte, on entend souvent dire que les marchés financiers ne sont pas l’économie, mais pourquoi ? Une des explications avancées est souvent celle de leur « don de prescience » supposé. Les marchés d’actions sont prospectifs et ont un coup d’avance. Rappelons à cet égard, avec une pointe d’ironie, la phrase de Paul Samuelson (célèbre économiste américain) en 1966 : « Les marchés ont prévu neuf des cinq dernières récessions ». Certains travaux universitaires (Frederik P. Schlingemann et René M. Stulz en 2020) en avancent une autre : la composition sectorielle des indices actions aux États-Unis reflètent de moins en moins celle de l’économie réelle et des emplois. Quoi qu’il en soit, un sujet connexe doit nous interpeller aujourd’hui, celui de la concentration sur quelques valeurs de la capitalisation boursière du S&P 500. Ainsi et d’après les calculs de plusieurs analystes, la pondération cumulée des dix premières entreprises en termes de capitalisation boursière a avoisiné les 39% au cours du mois d’août. Ce phénomène de concentration n’est pas nouveau, mais dans ces proportions, il est quasi inédit. Ces valeurs dont il est question sont en outre principalement issues du secteur de la technologie et en particulier, les bien nommées « 7 magnifiques »**. En conséquence, le degré de diversification de l’indice des actions américaines a été réduit et son niveau de valorisation a considérablement augmenté, car ces entreprises, qualifiées de « croissance », sont chères. D’autre part, ce phénomène est également sous-tendu par une tendance, jugée porteuse, à laquelle il est difficile d’échapper : l’intelligence artificielle (IA), dont les implications sont aussi d’ordre macroéconomique ; un sujet sur lequel nous tenterons d’apporter un éclairage au sein de notre publication mensuelle de septembre…
* : La phrase « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées » est une citation attribuée à Winston Churchill.
** : le groupe des « 7 magnifiques » est composé de Apple, Microsoft, Amazon, Alphabet, Meta, Nvidia et Tesla.
Ecofi, au 01 septembre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel.
Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 30 août 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.
Publié le 29/08/2025
Publié le 18/08/2025