Le jour où la statistique publique s’arrêta...
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Le jour où la statistique publique s’arrêta...

Écrit par Florent WABONT
Publié le 13/10/2025

Cela fait désormais 12 jours que les États-Unis traversent une impasse politique, freinant nombre d’opérations gouvernementales. Avec l’interruption de certaines publications clés, tout particulièrement celles concernant le marché de l’emploi, la statistique publique figure parmi les victimes collatérales de ce shutdown.

Quelle lecture et quel diagnostic peut-on, malgré tout, faire de l’économie américaine ?

Initialement prévue pour le 15 octobre, la parution des chiffres d’inflation pour le mois de septembre a été reportée au 24 octobre, et rares sont les outils permettant de suivre l’évolution des prix en temps réel. En dépit de cette limitation, la Fed de Cleveland actualise et fournit une « prévision en temps réel » (technique dite de nowcasting), en se basant notamment sur les fluctuations quotidiennes des prix de l’alimentation et de l’énergie. Pour le mois de septembre, l’inflation est ainsi anticipée à 3% sur un an (3,1% pour le consensus Bloomberg), après 2,9% en août. S’agissant de l’inflation cœur (hors énergie et alimentation), l’estimation donnée par cette même antenne régionale est, par construction, moins pertinente. C’est pourtant sur celle-ci que l’attention se cristallise chaque mois, afin d’y déceler les traces de la transmission de l’augmentation des droits de douane dans les prix. Au regard de l’évolution de ces derniers mois et des hypothèses que l’on peut formuler sur certaines catégories de l’indice des prix, tout converge pour envisager une stabilisation de l’inflation cœur à 3,1% sur un an, voire une légère augmentation à 3,2%.

Mais le diable se cache dans les détails, ou plutôt dans les décimales. Ainsi, une progression de 0,3% au mois le mois (consensus actuel des prévisionnistes) n’a pas la même portée pour la suite des événements, selon qu’il s’agisse par exemple de 0,25% ou de 0,29%. Idem pour 0,4%. Une désinflation plus prononcée dans certaines sous-catégories des services récemment polluées par des facteurs idiosyncratiques (assurances auto…) pourrait ainsi soustraire quelques petits points d’inflation à peine perceptibles, mais qui auraient néanmoins pour incidence d’abaisser la tendance dessinée sur 3 ou 6 mois. A contrario, une plus forte augmentation de l’inflation des biens touchés par les droits de douane contribuerait à faire pencher la balance de l’autre côté. Cette analyse peut être complétée à l’aide du ressenti fourni au travers des enquêtes. À ce titre, les entreprises du secteur manufacturier et de celui des services ont indiqué, en septembre, que le plus gros de la pression sur les coûts subie du fait des droits de douane a, semble-t-il, été dépassé. Cela ne signifie pas, en revanche, que la pression sur l’inflation est, quant à elle, retombée. On observe, en effet, que plusieurs mois séparent l’observation d’une augmentation des coûts et sa répercussion sur le consommateur. D’autre part, le taux de droits de douane le plus récent constaté est encore éloigné de celui qui devrait prévaloir théoriquement à partir de toutes les annonces faites jusqu’à présent, en raison notamment des stocks constitués en amont de l’application des droits de douane et des perturbations (possiblement temporaires) affectant la composition des importations. Cette « intuition » est par ailleurs confirmée par la dernière actualisation des travaux de l’Université d’Harvard (Tracking the Short-Run Price Impact of U.S. Tariffs (Cavallo, Llamas, Vazquez, 2025)), qui proposent notamment de suivre la progression des prix des biens importés.

Enfin, il est possible de se tourner vers des fournisseurs privés tels que Truflation, dont l’indicateur d’inflation porte le même nom. Celui-ci a pour ambition de suivre l’inflation au quotidien, grâce à des données remontées par des enseignes ou d’autres entreprises privées. Son niveau absolu s’écarte de la mesure officielle, mais sa tendance – haussière ces derniers temps – précède a priori de plusieurs mois celle de l’indice publié par le bureau des statistiques (BLS).

Mis bout à bout, nous continuons d’estimer que l’inflation américaine est, pour quelques mois encore, vouée à augmenter, avant de converger (très) progressivement vers la cible des 2%. L’horizon qui correspond à cette convergence est toutefois éloigné (supérieur à un an), rendant ainsi cette prévision vulnérable à toute surprise ou choc sur le chemin. En l’absence de statistiques officielles, difficile toutefois de confirmer (ou d’infirmer) ces hypothèses.

Contrairement à l’inflation, il existe une myriade d’indicateurs, issus de diverses sources, permettant d’avoir une idée sur l’état de santé du marché de l’emploi américain.

Concernant le marché de l’emploi, plusieurs statistiques ont déjà été temporairement suspendues, à l’instar des inscriptions hebdomadaires au chômage, des créations d’emplois ou encore du taux de chômage. Contrairement à l’inflation, il existe une myriade d’indicateurs, issus de diverses sources, permettant d’avoir une idée sur l’état de santé du marché de l’emploi américain. La plupart d’entre eux, des créations de postes recensées par l’enquête privée de l’ADP, aux craintes exprimées par les ménages américains, en passant par les annonces de licenciement répertoriées par le cabinet Challenger, Gray & Christmas, pointent vers une poursuite de la détérioration constatée depuis plusieurs mois (proche de la situation dépeinte ici). Plusieurs nuances méritent toutefois d’être apportées. Premièrement, il convient de noter que le pouvoir prédictif de ces indicateurs sur les statistiques officielles a été amoindri depuis la pandémie. Deuxièmement, que le sentiment exprimé par les ménages au travers des enquêtes s’avère plus négatif que ce que les chiffres du chômage indiquent réellement, nous ramenant ainsi à l’idée de « vibecession » (« sensation de récession »). Troisièmement, que le climat d’incertitude induit par la politique économique erratique de Donald Trump a « tétanisé » les entreprises dans leurs décisions d’embauches, ce qui complexifie de facto la lecture de la situation. L’indicateur de nowcasting calculé par la Fed de Chicago – obtenu notamment à partir de certains des indicateurs décrits à l’instant – montre que le taux de chômage (qui aurait dû paraitre le 1/10) est a priori resté inchangé à 4,3% en septembre.

Ecofi, reproduction des résultats obtenus par le modèle de « prévision en temps réel » de la Fed de Chicago, se basant notamment sur les inscriptions hebdomadaires au chômage, les réponses données par les ménages aux enquêtes ou encore les tendances de recherche Google.

Sources

Ecofi, reproduction des résultats obtenus par le modèle de « prévision en temps réel » de la Fed de Chicago, se basant notamment sur les inscriptions hebdomadaires au chômage, les réponses données par les ménages aux enquêtes ou encore les tendances de recherche Google.

Au total, nous n’avons pas modifié notre scénario central. L’équilibre sur le marché du travail demeure instable, voire fragile, mais nous n’anticipons pas de rupture franche et marquée à court terme. La faiblesse est avérée, mais celle-ci pourrait s’atténuer au cours des prochains mois, si la retombée partielle de l’incertitude sur la politique économique se confirme et se prolonge. D’autant plus que la consommation des ménages semble encore progresser à un rythme convenable (bien qu’en ralentissement) et que de nouveaux investissements dans l’intelligence artificielle sont annoncés chaque jour ou presque.

Mais, là encore, difficile de naviguer à l’aveugle. Et cette navigation s’avère particulièrement délicate pour la Fed, qui peut toutefois compter sur deux ressources de taille. Une première, peu connue du grand public, est fournie par l’entreprise ADP en collaboration avec les économistes de la Fed.  Elle ne couvre que partiellement le tissu économique américain, mais sa fréquence est hebdomadaire et les résultats non publics. Cet indicateur a récemment été évoqué par Christopher Waller (membre votant de la Fed) pour appuyer sa vision d’un marché de l’emploi qui se dégrade. La Réserve fédérale peut aussi compter sur les remontées de terrain privilégiées entretenues par les différentes antennes régionales. Récemment, la tonalité du discours tenu par certains membres de la Fed a légèrement évolué. Ces derniers semblent toujours préoccupés par le marché de l’emploi, mais concèdent désormais quelques réticences à vouloir baisser les taux fortement au-delà du simple ajustement, tout particulièrement au regard de l’incertitude entourant l’évolution de l’inflation. Un scénario que nous partageons depuis un moment maintenant…  

Enfin, concernant, les marchés financiers, force est de constater que ceux-ci se sont acclimatés à la situation, moyennant quelques frayeurs liées aux droits de douane vendredi dernier. Leur sensibilité accrue ces dernières années aux statistiques de l’emploi, mais aussi à celles sur l’inflation les rendent toutefois vulnérables à la moindre mauvaise surprise. Davantage d’ailleurs, selon nous, aux secondes qu’aux premières, compte tenu de l’emphase mise ces derniers temps sur les données de l’emploi, au détriment de l’évolution des prix, qui pourrait redevenir un sujet de préoccupation ponctuel. D’autant plus dans un contexte de valorisation tendu et de records enregistrés à la hausse. Gageons que le shutdown ne se prolonge pas au-delà de quelques semaines. Autrement, les économistes risquent de trouver le temps long…

Sources

Source : Ecofi, au 13 octobre 2025.
Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des performances futures. Document non contractuel. Les analyses et les opinions mentionnées ci-dessus représentent le point de vue de l’auteur. Elles sont émises en date du 10 octobre 2025 et sont susceptibles d’évoluer. Elles ne sauraient être interprétées comme possédant une quelconque valeur contractuelle. Ce document est produit à titre purement indicatif. Il constitue une présentation conçue et réalisée par Ecofi à partir de sources qu’elle estime fiables. Ecofi se réserve la possibilité de modifier les informations présentées dans ce document à tout moment et sans préavis. Il est produit à titre d’information uniquement et ne constitue pas une recommandation d’investissement personnalisée.

Florent WABONT

Économiste

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